Réflexion sur la voyance

 

Est-ce que la voyance remet en question notre liberté de choix ?

 

De toute évidence, la voyance n'est pas compatible avec l'idée de libre-arbitre, car s'il est possible de savoir ce qui se passera dans l'avenir, alors nécessairement ce qu'on appelait choix jusqu'alors n'était qu'illusion. C'est une notion fondamentale sur laquelle repose toute notre société et sur laquelle nous avons fondé notre propre vie. Néanmoins, ce n'est pas sur cette composante que nous fondons notre bonheur. 

 
La voyance n'est pas compatible avec cette idée de liberté de choix. Néanmoins, est-ce vraiment cette idée de liberté de choix qui importe dans la vie ? Qui se dit à chaque instant qu'il vit la vie qu'il doit vivre ? N'est-ce pas cela le bonheur : avoir le sentiment profond de vivre la vie qu'il doit vivre ? Or, l'Homme empreint aux incertitudes, comble les vides en créant le libre-arbitre: "Je vis ma vie, car je fais mes choix". Or, on constate que ces choix sont conditionnés en amont ( possibilités limitées) et en aval (préférences personnelles), donc fonder sa vie sur ses choix est une erreur. Le libre-arbitre est né d'un besoin psychique et social: d'un côté,  le désir de souveraineté de sa vie et de l'autre, la responsabilité civique .

 
Pour la voyance, la vie ne se construit pas au fur et à mesure que le temps avance : elle se révèle. La vie consiste à nous révéler et c'est ainsi qu'on prend conscience du soi. L'idée première avant de connaître le soi est d'intégrer que la vie n'est pas une construction, mais une révélation.

 

Quelle est l'intérêt de la voyance ?

 

Comme j'ai pu dire, le but de la vie est de comprendre le soi et ceci passe par l'idée que la vie est une révélation. Or, comment s'en convaincre ? L' une des façons de faire est de passer par la voyance : savoir ce qui se passera et constater que les choses se passent est la voie royale pour prendre conscience que la vie est une révélation.

 

La voyance ne va pas vous faire intégrer cette idée : l'intégration est ce qu'on appelle la foi. La foi est une croyance aveugle non pas en Dieu (ce terme est devenu très flou), mais en l'idée que la vie est une révélation, c'est-à-dire que les choses arrivent comme elles doivent arriver (amor fati).

 

La voyance a un intérêt pratique, mais son intérêt premier: il y a une application matérielle et une implication spirituelle de la voyance. La fonction première de la voyance n'est pas matérielle, mais spirituelle. L'application matérielle de la voyance est ce par quoi la personne prend conscience de la dimension spirituelle de la vie.

 

La voyance n'est-elle pas poésie ? Ne trouve -t-on pas dans le discours du voyant ce qu'on veut entendre ? N'est-elle pas sujette à interprétation ?

 

C'est quelque chose qui est souvent reproché en dernière instance au voyant : l'appréciation de la réalisation d'une prédiction reposerait sur un biais cognitif. Non, la voyance n'est pas poésie, elle ne procède pas par l'énonciation de métaphores ou d'oxymores dans lesquels la personne y verrait ce qu'elle veut. 

 

La zététique est l'art du doute ou ce qu'on pourrait appeler le scepticisme. La voyance est en toute vraisemblance la cible privilégiée de la zététique. Or, la rigueur dans cette démarche chercherait non pas à tenter de discréditer quelque chose qui n'est pas universellement admis et qui ne peut pas l'être du fait du paradigme sur lequel la notion d'universalité est fondée, mais bien de tenter de justifier sa véracité. La voyance est comme une ardoise magique, autrement dit, dés lors que les choses sont dites et que le temps est passé, l'ardoise s'efface. La science n'est pas une ardoise magique, mais une pierre sur laquelle on y inscrit des lois. 

 

La voyance ne s'est jamais réclamée de la science et donc tenter de justifier la voyance d'après des critères scientifiques est absurde. 

 

D'après le scientisme, tout doit et peut être compris par la science. Or, par quoi se caractérise une science ? Elle se caractérise par ce qu'on appelle sa répétabilité, autrement dit, si toutes choses doivent être comprises selon les principes scientifiques, alors il devrait être possible de les prédire du fait qu'il est possible d'établir des lois pour toutes choses. En connaissant les conditions initiales et les lois qui régissent un système, il est donc possible d'en prédire la fin et c'est ainsi que le mythe du libre-arbitre est brisé. Ce simple raisonnement suffit donc à accorder un crédit à la précognition. 

 

La voyance n'est pas stricto sensu une science, mais la question qu'on peut se poser est : quelle valeur donne-t-on à la science ? 

 

"Dans les derniers siècles, on a fait avancer la science, soit parce que, avec elle et par elle, on espérait mieux comprendre la bonté et la sagesse de Dieu - le principal motif dans l'âme des grands Anglais (comme Newton) - soit parce que l'on croyait à l'utilité absolue de la connaissance, surtout au lien le plus intime entre la morale, la science et le bonheur - principal motif dans l'âme des grands Français (comme Voltaire) -, soit parce que l'on croyait posséder et aimer dans la science quelque chose de désintéressé, d'inoffensif, quelque chose qui se suffit à soi-même, de tout à fait innocent, à quoi les mauvais instincts de l'homme ne participent nullement - le motif principal dans l'âme de Spinoza, qui, en tant que connaisseur, se sentait divin : - donc pour trois erreurs !"  Le Gai Savoir [Nietzsche]

 

 

Si la voyance est un don, pourquoi le voyant ne fait-il pas don de ses services ?

 

Là encore, c'est un subterfuge qui consiste à placer  le voyant face à ses contradictions. Il n'y a aucune contradiction dans cette affaire, il repose seulement sur un jeu de mot où un don (talent) implique un don (gratuité). C'est le stratagème du malhonnête d'user sans contrepartie du temps de l'autre. Ce type de raisonnement pourrait être désigné à un médecin, à un avocat, à un agriculteur, etc.

 

La question n'est pas de savoir si la source d'un service est le fruit d'un don ou d'une compétence acquise, mais de bien comprendre que tout travail nécessite une contrepartie et ce, peu importe la qualité du service rendu. En effet, le système économique est basé sur la loi du marché, autrement dit sur l'offre et la demande. Cette loi repose sur la détermination de la valeur des biens ou services en fonction de sa rareté relative. Or, l'une des plus grandes raretés à laquelle l'Homme puisse être soumise est le temps pour la raison connue de tous: la vie a une durée limitée.

 

Chacun est libre de faire ce qu'il veut de son temps en sachant que dans la vie pratique, le temps passé est un temps perdu. Tout le système économique est basé sur ce facteur temps dont le voyant ne serait se soustraire. Le voyant ne vit pas dans une dimension immatérielle, son corps est là sans quoi vous ne pourriez pas interagir avec lui.

 

Après, je comprends ce que sous-entend la question: dans le mesure où la voyance induit un changement de perception du temps, cette loi économique ne devrait pas s'appliquer. C'est vrai et c'est pourquoi je distingue la "vie pratique" de la vie dans un sens plus vaste. En fait, cette question renvoie en quelque sorte à la distinction bergsonienne du temps : il y a d'un côté le temps physique et de l'autre le temps réel ; il y a d'un côté la science qui consiste à discrétiser le temps et de l'autre, la métaphysique qui fait l'expérience du temps dans sa dimension intégrale et c'est ce sur quoi se fonde l'Art dont la voyance pourrait d'une certaine façon appartenir. Ainsi, si la voyance a une valeur poétique, c'est seulement dans sa perception du temps comme expérience intégrale.